La providence dans une approche juive par M. Costa – Professeur à Paris III Sorbonne – transmis par Betty Teicher

 La question de la providence est inséparable de celle du mal: comment un D. provident et l’existence du mal sont-ils compatibles ? 

2. La question du mal se présente elle-même sous deux facettes: l’origine du mal et sa fin/finalité. 

3. Le deuxième aspect (fin/finalité du mal) renvoie à la question de la rétribution de deux manières: le principe faute/sanction (le mal vient sanctionner une faute préalable) et l’existence d’un autre monde dans lequel le mal n’existerait plus. 

4.  L’eschatologie explicite de la Bible est très minimaliste: les morts vont dans le Shéol, où ils subsistent à l’état d’ombre. La fin des temps, le Messie, la résurrection, le jugement dernier, la rétribution en enfer et au paradis sont peu ou pas présents dans le texte biblique. 

5. Il est donc logique que la Bible situe la rétribution (récompense des justes, punition des méchants) en ce monde, ce qui se heurte à une difficulté majeure: les anomalies du juste souffrant et du méchant prospère. L’anomalie du juste souffrant est le thème central du livre de Job mais elle reste inexpliquée dans ce livre. Is 53 propose une explication du juste souffrant: c’est le serviteur de l’Eternel qui choisit volontairement de souffrir pour obtenir l’expiation des fautes des pécheurs. 

6. Après l’époque de la Bible, l’eschatologie juive a évolué et tous les éléments de l’eschatologie rabbinique sont déjà présents dans la littérature apocalyptique (les deux mondes, l’immortalité de l’âme, la résurrection corporelle etc.). Le messianisme se développe notamment à partir du IIème siècle avant notre ère, sous trois formes: royal, sacerdotal, divin. L’évolution de l’eschatologie juive reflète probablement des influences extérieures (grecques et perses), certaines circonstances particulières (la persécution d’Antiochos et les premiers martyrs juifs) et une réflexion interne (si on admet l’existence de deux mondes, l’anomalie du juste souffrant est plus facile à comprendre). 

7. L’eschatologie des rabbins se déploie à trois niveaux: au-delà (après la mort), résurrection et Messie. L’au-delà est tantôt conçu dans la continuité de la Bible (le Shéol), tantôt comme un lieu où les morts connaissent déjà une rétribution (les justes dans le « faisceau des vivants », les méchants soumis à des mouvements violents). Il n’est qu’une période intermédiaire avant la résurrection, c’est-à-dire le retour unique de l’âme dans le corps à la fin des temps. La résurrection fait l’objet de multiples discussions (universelle ou particulière, en terre d’Israël ou aussi en diaspora, opérée par D., les justes ou Elie mais pas, semble-t-il, le Messie etc.; les rabbins insistent notamment sur le retour du corps à l’identique, y compris avec ses infirmités). Le messianisme des rabbins est essentiellement royal, avec dans les textes plus tardifs une présence du messianisme souffrant, sous l’influence vraisemblable du christianisme. 

8. La rétribution se déploie donc dans les deux mondes, monde présent et monde futur que les rabbins n’opposent pas aussi radicalement que les apocalypses. Il y a au moins trois scénarios de la rétribution chez les tanna’im: a. celui de l’avant-goût: on a dans le monde présent uniquement un avant-goût de la rétribution, le gros de celle-ci est gardée pour le MF ; b. celui de la concentration: toute la rétribution est réservée au monde futur ; c. celui de l’inversion: la situation du MP est l’inverse de celle du MF. Dans le MP, le méchant est récompensé pour ses bonnes actions et le juste puni pour ses fautes ; c’est l’inverse dans le MF. Les rabbins ont deux exigences difficiles à concilier: il faut croire dans la récompense du monde futur et en même temps agir de manière désintéressée, sans y penser. 

9. La majorité des rabbins adhère au principe: « pas de souffrances sans faute préalable », mais d’autres conceptions existent, notamment dans le Talmud de Babylone (par exemple, l’influence de l’astrologie ou la notion des « souffrances d’amour »).

10. Le jugement de D. suit normalement le principe « mesure pour mesure », mais quelques textes peu nombreux n’hésitent pas à admettre que la punition divine dépasse parfois la mesure, en frappant les justes en même temps que les méchants (voire avant eux !). Il est légitime de vouloir échapper à cette démesure, en prenant des précautions. Un texte du Talmud place même dans la bouche de D. une autocritique: puisque j’ai mis le feu à Jérusalem, c’est à moi de dédommager Israël pour cette punition excessive.