IV/ Le temps de la providence et du renouveau

A) le temps de la providence

Il s’agit au fond de trouver un dépassement à la dynamique de l’histoire proposée par Karl Marx où « l’histoire des société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes »

Dans cette optique l’homme est enchâssé dans un contexte social, les rapports sociaux de production qui sont définis par les rapports de propriété entre les dominants et les forces productives.

On serait ainsi passé du mode de production antique caractérisé par

l’esclavage, au mode de production féodal marqué par le servage au mode capitaliste où se déploie le salariat.

Mais comme le note Moltmann « , l' » histoire » est elle uniquement lutte des classes?

N’est elle pas aussi, au delà, l’expérience de la contingence dans ce qui advient et celle de la liberté dans l’expérience que le sujet humain fait de sa liberté ?  » P 270

Le dépassement  de la vision Marxiste est ainsi, comme nous l’avons vu dans les chapitres sur l’économie, celui d’une montée de l’intentionnalité des acteurs.

Ceci est en phase avec l’analyse de Durkheim qui considérait que l’on était passé d’une solidarité mécanique, marquée par une forte conscience collective imprégnant le comportement des individus à une solidarité organique marquée par la différenciation des acteurs et où le lien social tient par la complémentarité des acteurs : la division sociale du travail.

Dans notre  approche cette intentionnalité des acteurs se nourrit d’une psychologie tournée vers les buts: les grandeurs ou l’agape donc l’autre.

Dans cette psychologie des buts peut intervenir  » la main de Dieu  » ou autrement dit la providence.

Comme le dit Emmanuel Durand dans Evangile et Providence : les témoignages de sainteté   » : révèlent que Dieu trace un chemin dans la mer, ouvre une voie dans le dédale des possibles, lutte avec les inconstances de la liberté humaine ».

Dieu à travers les voies ouvertes par la providence fait ainsi entrer l’action des hommes dans son dessein ultime.

 » Dans le passage permanent du temps de l’histoire vers le temps de la fin, l’histoire n’apparaît plus seulement comme le conflit mais aussi comme une Pâque, un passage vers le salut et l’accomplissement. Au terme se trouve  la cité de Dieu dans son état eschatologique, c’est à dire la communion des saints, sans plus aucun mélange et dans la plénitude de la paix.

La fin de l’histoire paraît donc être le recrutement des saints, la transformation des appelés à la communion, la configuration de chacun à son  identité eschatologique et plénière, déposée en lui comme un appel dont le profil achevé demeure encore voilé. »

Chaque être humain est ainsi appelé à « coopérer  » au dessein de Dieu à travers les choix qu’il opère en présence des mains tendues par Dieu.

Si nous sommes dans le temps du grand retournement, cet appel des saints qu’évoque Emmanuel Durand se cristallisera dans une réponse qui se diffusera à l’ensemble de l’Humanité et retournera à son avantage les pratiques mauvaises. C’est cette   » puissance de renversement  » que possède Dieu, et qui s’illustre dans le parcours et  la « singularité » de chaque personne.

On passera alors d’une communion des saints inscrite dans l’invisible à une communion des saints incarnée dans le réel.

Mais comment s’exerce cette Providence ?

Pour le Dominicain Emmanuel Durand elle s’exerce en premier lieu à travers la médiation du Christ Jésus:

 » À travers son ministère, par ses paroles et ses gestes, par son autorité et sa manière d’être, les humains ont accès en Jésus à l’imminence du Royaume et à la proximité du salut. En chacune de ses rencontres, l’acuité de son regard, la justesse de ses gestes et le tranchant de sa parole sont les médiations concrètes d’une Providence appliquée à tous et à chacun. »

Jésus est ainsi pour ceux qui l’écoutent et qui le comprennent une source d’inspiration et de dévoilement à eux-mêmes. Il leur permet de saisir la grâce qui les accompagne et qui ne demande qu’à s’exprimer.

L’Esprit inspire également  » la parole de Dieu  aux prophètes et aux témoins « 

« L’action de Dieu s’éclaire (ainsi) à partir des justes et en proportion de leur filiation envers Dieu.»

Nous pouvons faire notre cet appel de l’auteur :  » en toutes nations, en tous pays, en toute ville, en tout mouvement, en tout cercle restreint, nous pouvons espérer que l’Esprit de Dieu suscite des justes comme un possible point de ralliement, pour révéler un mode d’existence non aligné , celui-là même du Christ Jésus, qui tranche sur la logique du monde et du péché »

Enfin, nous retiendrons que la providence divine s’exerce en insufflant à l’homme la disposition de croire, espérer et aimer.

On retrouve ainsi avec l’espérance cette notion  » d’engagement intentionnel. »

Les humains faisant le plus souvent  » l’expérience d’un espoir toujours renaissant, ouvert et indéracinable, qui se reporte incessamment au delà des projections humaines. »

Cette  » espérance humaine » pouvant être à la source de cette dynamique sans cesse reprise de l’Histoire humaine que nous avons imagé sous la forme d’une spirale.

Le temps de la Providence signifie que nous sommes tous reliés, que toutes nos pensées, nos désirs profonds, nos prières  sont reliés  aux autres et à Dieu dans un flux spirituel.
Nous baignons dans ce champ spirituel invisible.
Et c’est par une rencontre entre nos aspirations profondes et les desseins de Dieu que se créent ces fenêtres ouvertes vers les possibles.
À nous de saisir ces ouvertures que ce flux spirituel nous apporte.


Le temps de la providence signifie ainsi que les tous nos actes sont reliés dans un enchevêtrement de ce qui pousse d’un coté au bien et de l’autre au mal. Nos sources d’inspiration sont ainsi humaines mais aussi surnaturelles.
L’Esprit de Dieu, que l’on peut  ici appeler  l’esprit saint, nous inspire, guide notre maturation intérieure.
Et c’est au sein d’un véritable combat spirituel entre des forces qui s’opposent que chacun agit dans le monde ; en entrant pour certains: les justes, les saints;  dans le grand dessein de Dieu pour le monde.
On peut reprendre l’hypothèse ici que chaque acte posé est compté, et que chaque acte qui va dans le mauvais sens sera compensé à terme ou ailleurs par un acte allant dans le bon sens.
Nous vivons ainsi dans un monde spirituel où les actes des hommes et des femmes sont sans cesse mis en balance pour aboutir à l’issue d’un long processus en spirale à un monde juste et pacifié.

C’est pourquoi, le temps de la Providence pourrait voir les forces positives converger dans l’esprit des Hommes pour aboutir à ce grand retournement, que le Christ appelait le  temps du Renouveau.

B) le temps du Renouveau ou de « la venue de Dieu »

La venue de Dieu sera tel que « DIEU sera tout  en tous « 

. (Saint Paul) 1CO 15, 28: Quand toutes chose lui auront été soumises, alors le fils lui même se soumettra à celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous « 

Si nous sommes dans le grand retournement la résurrection 22 30 prendra la forme d’anges  (dans l’évangile selon st luc 22 30 (p78) le Christ affirme : » à la résurrection, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le  ciel »

Sur terre ce Dieu « en tout et en tous » pourra correspondre à des conversions intérieures.

 Cela sera l’achèvement d’un long processus de lutte contre « les principautés  les dominations  et puissances. »p479 évangile 1  CO  15 24 25 Comme le dit Jésus lui même dans Saint Luc ce sera le temps du « Renouveau ».

Les hommes se comporteront comme des justes et briseront le cercle mimétique de la violence décrit par René Girard et entreront dans la poursuite du meilleur de chaque grandeur (marchande, de renom, civique, domestique, inspirée  etc.)  voire en poursuivant la voie de l’agape.

(Ce mimétisme d’appropriation qui pousse les hommes à rechercher l’avoir plutôt que l’être et à rechercher à détenir toujours plus pour se mettre au niveau de son voisin).

Analysant la thèse de Fukuyama sur la fin de l’histoire Moltmann souligne qu’  » en tant qu’Hégélien Fukuyama devrait savoir que toutes les civilisations antérieures ont développé de nouveaux systèmes de vie lorsque leurs contradictions internes devenaient insupportables »

Ainsi ce grand retournement pourrait correspondre à ce que Joanna Macy appelle un Changement de Cap comme le citent Pablo Servigne et Alii dans  » « Une autre fin du monde est possible  » ( 2018)

 » il y a trois dimensions à ce que Joanna Macy appelle le Changement de Cap.

La première s’inscrit dans les actions et les luttes  destinées à ralentir ou stopper les dégâts  causés à la Terre, aux écosystèmes, aux communautés et aux personnes fragiles.

Il s’agit de l’activisme, spectaculaire ou discret comme on l’entend

habituellement.

La deuxième regroupe l’analyse et la compréhension de la situation actuelle (collapsologie) et la création d’alternatives concrètes (écovillages, villes en transition, économies alternatives, agroécologie etc.)

Enfin la troisième dimension est celle d’un profond changement de conscience, d’un changement intérieur.

L’une n’est pas plus importante qu’une autre. Il nous faut les trois

simultanément. »

Au fond ce changement de cap se fera bien grâce à une conformation de l’homme   et  de     la femme  au Christ (et / ou à Marie ? ) comme l’a réalisé Saint Paul.

Cela se fera dans le cadre d’un grand  » dévoilement » de la vérité, dans le cadre de « l’apocalypse » au sens premier du terme.

En effet, comme le rappelle Moltmann dans « la venue de Dieu »:

« Apokalypsis signifie  » dévoilement», le fait de démasquer, de rendre

manifeste.

Le mot dit le dévoilement et la venue en pleine lumière de ce monde devant le jugement de Dieu, c’est à dire l’advenue de la vérité du monde devant un juge divin, et la révélation de Dieu caché devant le monde à l’heure de la vérité. Le mot lui même n’a rien à voir avec  » fin du monde  » ou  » anéantissement du monde «  »

Si nous sommes dans cette phase du grand retournement, nous vivons ainsi ce grand dévoilement. Nous sommes  déjà dans le temps de l’apocalypse.

C’est à la fois un temps d’apocalypse et messianique.

Messianique au sens ou des figures du Christ se lèvent ou se lèveront pour faire entrer le monde dans le passage, dans le temps du Renouveau.

Ce temps du Renouveau s’appuiera sur une construction originale d’institutions et de techniques.

Comme le note Moltmann à propos des institutions, dès lors que l’homme est un  » enfant mal aimé de la nature comme Gehlen l’affirme avec Herder, un être inachevé et un « animal non définitif » (Nietzsche), il a besoin de compenser la sureté de l’instinct qui lui fait défaut par des institutions sociales solides ».

Dans ce monde qui se construit le nouvel l’ajustement entre les techniques et les institutions permettra notamment de dégager un mariage heureux avec la nature où la source de l’énergie ne sera plus prédatrice mais renouvelable (géothermie, vent, solaire, hydrogène fondée elle même sur de l’électricité renouvelable).

Où l’économie ne sera plus linéaire mais circulaire…

(L’économie linéaire commençant par puiser dans les ressources pour produire consommer et jeter alors que l’économie circulaire produit consomme et au lieu de jeter recycle pour produire consommer recycler produire  et à nouveau consommer et ainsi de suite…)

Où les circuits entre la production et la consommation seront raccourcis…

Où l’économie créative s’affirmera comme celle de la culture et des loisirs renouvelant sans cesse la dynamique économique grâce à l’inventivité de l’homme et de la femme et constituant définitivement le cœur de l’économie.